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Quand la Sicile vous appelle
Il y a des îles que l’on traverse. Et puis il y a celles qu’on écoute. La Sicile fait partie de ces terres volcaniques et sensuelles qui vous parlent à l’oreille, vous susurrent des récits d’empereurs grecs, de marchés débordants d’aubergines brillantes, et de ruelles d’un autre temps, perchées dans le ciel ou balancées entre sable et mer. Ça faisait longtemps qu’elle m’appelait, la Sicile. Une voix au goût de Nero d’Avola et de sel, entraînante comme un air de tarentelle un soir d’été.
Dans cet article, je vous embarque sur les routes sinueuses de cette île pas tout à fait italienne, pas tout à fait autre chose non plus : un monde à part. Ensemble, on va grimper au cratère d’un volcan grondant, ralentir le pas dans un village suspendu entre ciel et falaise, et s’égarer pieds nus sur une plage déserte où le vent parle plus que les hommes.
Les volcans : là où grondent les dieux
Le plus célèbre d’entre eux, c’est l’Etna. Le grand-père du volcan méditerranéen. Il veille, on ne sait jamais si c’est d’un œil protecteur ou malicieux. Depuis Catane, il semble paisible, mais quand on s’en approche, le sol devient noir, la roche fumante, et l’air a cette étonnante odeur de soufre et de promesse.
Grimper l’Etna, c’est accepter une ascension qui ressemble parfois à une épreuve initiatique. Il faut souvent se lever tôt, engoncer ses pieds dans des chaussures solides, et se préparer à faire face aux caprices de la montagne – parfois quelques rafales insolentes, parfois un brouillard qui vous avale tout entier. Mais que voulez-vous, tout ce qui compte vraiment demande un peu d’effort.
En haut, à plus de 3000 mètres, le silence est saisissant. La terre est rouge, grise, parfois ocre, et tout semble figé, sauf les fumerolles qui dansent sur les crêtes. Sur ce plateau lunaire, j’ai bu mon café (froid, hein) en me disant que rarement le monde m’avait paru si vaste et si minuscule à la fois.
Pour une version plus ondoyante, direction les îles Éoliennes, à une poignée de ferry de Milazzo. Là, c’est Stromboli qui règne, plus nerveux, plus imprévisible. Ce cône parfait crache du feu dans les nuits étoilées depuis des millénaires. L’ascension se fait en fin d’après-midi, et une fois le sommet atteint, le spectacle est tout bonnement hypnotique : de la lave s’échappe dans l’obscurité, chaque éruption éclairant comme un battement de cœur l’intérieur d’un monde primitif.
Villages perchés : poésie à flanc de falaise
Il y a quelque chose de magique avec les villages siciliens accrochés aux montagnes. Comme s’ils défiaient la gravité par pur amour du panorama. Et quand on y marche, c’est tout un autre rythme qui s’impose : ici, on vit lentement, on observe, on salue les anciens au pas de la porte.
Savoca, pour commencer. Un bijou suspendu dans le silence, connu pour avoir servi de décor au Parrain. Mais ce n’est pas (que) pour Pacino qu’on y vient, non, c’est pour les ruelles pavées, le café dans le petit bar qui n’a pas bougé depuis 50 ans, et l’écho de vos pas qui résonne contre les murs recouverts de glycines.
Castelmola, quant à lui, surplombe Taormine avec insolence. Là-haut, il faut commander un verre d’Almond wine en terrasse et regarder la lumière courir sur les toits en contrebas, jusqu’à la mer. C’est un endroit qui se mérite – la route grimpe en lacets audacieux – mais qui récompense toujours l’effort.
Et puis il y a Erice. La montagne sacrée de l’ouest. Petit village médiéval accroché à presque 750 mètres d’altitude, avec ses pavés inégaux, ses églises énigmatiques, et cette brume légère qui s’invite souvent, comme pour mieux vous faire croire que vous avez franchi un portail temporel. À Erice, j’ai mangé la meilleure cassatella (gâteau fourré à la ricotta, si doux qu’il vous murmure des secrets dans la bouche), en regardant les nuages glisser sous mes pieds.
Plages sauvages et côtes indomptées
Maintenant, imaginez. Pas de transats alignés, ni de cocktails survitaminés. Juste des criques oubliées, des plages ourlées de rochers, un vent salé dans les cheveux, et cette impression d’être seul au monde. Bienvenue sur le littoral sauvage de la Sicile.
La plage de Calamosche, dans la réserve naturelle de Vendicari, est un joyau caché. Accessible après une bonne marche à travers une garrigue dorée et bruissante d’insectes, elle s’offre comme une récompense : sable doré, eaux limpides, et peu de monde. J’y ai passé un après-midi à lire, entre deux baignades, le bruit des vagues marié aux cris lointains des mouettes.
Un peu plus à l’ouest, non loin de Marsala, se trouve la plage de San Teodoro. Un vaste ruban de sable blond, bordé de dunes et peuplé de cerfs-volants les jours de vent. Ici, la mer peut être agitée, surtout le soir, mais la lumière y est fabuleuse : des reflets argentés qui transforment chaque silhouette en ombre chinoise.
Et pour les plus aventureux, direction la Scala dei Turchi, cette falaise immaculée aux allures de mille-feuille calcaire qui plonge dans les eaux turquoise. Grimpez pieds nus sur la roche douce et chaude, asseyez-vous tout en haut, et contemplez la mer danser jusqu’à la Tunisie. Un moment suspendu, presque irréel.
Gastronomie en route : c’est aussi ça, le voyage
En Sicile, on mange comme on vit : avec intensité, émotion et beaucoup d’histoires racontées entre deux bouchées. Et chaque village, chaque port, chaque maison semble avoir sa propre recette secrète transmise à travers les générations.
Je vous conseille, par exemple, de goûter :
- Les arancini : ces boules de riz farcies à la viande ou à la mozzarella, frites jusqu’à en devenir addictives. À Catane, j’en ai goûté une au ragù dans une vieille boulangerie près du marché. J’ai versé une petite larme (sérieusement).
- La pasta alla norma : des pâtes aubergine-tomate-ricotta salée. Une symphonie simple, mais diablement efficace.
- Les Cannoli : tube croustillant rempli d’une crème de ricotta sucrée légèrement citronnée. Fuyez les versions trop touristiques, préférez ceux faits du jour dans une pâtisserie de quartier, à Raguse ou Modica.
Et surtout, prenez le temps. Laissez-vous tenter par un marché à Palerme, par un dîner improvisé en terrasse à Syracuse, par un petit verre de Marsala au coucher du soleil. Car ici plus qu’ailleurs, le goût est une porte d’entrée vers les gens et leurs récits.
Rencontres siciliennes : visages et partages
Dans un petit atelier de céramiques à Caltagirone, une dame m’a dit un jour, en roulant une assiette entre ses doigts tachés de glaçure : “La Sicile, c’est un volcan qui a appris à respirer doucement”. Elle avait les yeux pétillants d’avoir aimé plus que sa part et continuait de mouler des souvenirs dans le silence de son arrière-boutique.
Il y a aussi ce pêcheur de Cefalù, qui m’a vendu une sardine grillée pour presque rien, en ajoutant une leçon sur les courants marins et la patience. Et cette famille à Modica, qui m’a invité à leur table après m’avoir entendu m’extasier devant leur jardin d’orangers.
Ce sont ces moments, ces visages, qui rendent la Sicile inoubliable. Plus que ses façades baroques ou ses plages de carte postale, ce sont les gens qui tissent l’âme de cette île.
Derniers pas avant de repartir
Quitter la Sicile, c’est un peu comme refermer un vieux livre dont chaque page vous a laissé une trace sur les doigts. On revient les chaussures pleines de poussière noire (merci l’Etna), l’appareil photo saturé d’ocres et de bleus, et l’âme un peu différente. Plus légère peut-être, ou simplement plus curieuse.
Alors si un jour, vous sentez une envie irrésistible de mer indomptée, de vin doux et de villes blotties sur les falaises, suivez cette voix. Celle qui vous dit que l’Italie peut être un peu plus volcanique, un peu plus aride… et infiniment plus magique. Suivez-la jusqu’en Sicile.